loader image

Depuis presque 8 ans, l’affaire du Levothyrox va de rebondissements en rebondissements et mobilise de nombreuses juridictions tant administratives que judiciaires, autant au civil qu’au pénal. 

Le 17 avril dernier, une nouvelle étude faite par des chercheurs toulousains et tchèques tend à mettre à mal la défense du laboratoire Merck. 

Les chercheurs ont analysé des médicaments dans leur ensemble grâce à 1000 boîtes envoyées par des patients. Ils ont découvert de nouvelles réactions entre les excipients et des impuretés. Selon ces chercheurs, ces impuretés, dont certaines ont été retrouvées en nombre et sans déclaration par le fabricant, pourraient expliquer les effets secondaires ressentis par les utilisateurs du Levothyrox. 

Le laboratoire Merck, qui critique la méthode utilisée, maintient être en conformité en tout point à la réglementation en vigueur et rappelle que la nouvelle formule du Levothyrox avait été approuvée par les autorités sanitaires françaises et européennes. 

Quelle pourrait réellement être la portée de cette nouvelle étude dans les différentes procédures en cours ? 

Cette étude a été en partie financée par l’association française des malades de la thyroïde (AFMT). Il s’agit donc d’une étude privée qui ne peut être assimilée à une expertise judiciaire menée par des experts neutres. Elle pourra donc être effectivement un élément supplémentaire portée à l’appréciation des différents juges saisis mais ne pourra pas avoir la force des diverses expertises judiciaires déjà menées dans cette affaire tentaculaire. 

L’origine du scandale sanitaire 

Pour rappel, Le Levothyrox est un médicament fabriqué par le laboratoire Merck délivré sur prescription médicale et destiné à traiter les maladies de la thyroïde.

Après une modification des excipients du médicament, notamment en remplaçant le lactose par du mannitol et de l’acide citrique, une nouvelle formule a été vendue aux patients dès mars 2017. 

Peu de temps après, un grand nombre de malades étaient victimes d’effets tels que des vertiges, pertes de connaissance, grande irritabilité, insomnies, crampes, immense fatigue et troubles intestinaux, lesquels ont été signalés aux Centres Régionaux de Pharmacovigilance.

L’ANSM estime à 500 000 personnes le nombre de malades touchés, les associations estimant pour leur part à un million le nombre de victimes sur environ 3 millions d’utilisateurs en France. 

Aujourd’hui de nombreuses procédures sont en cours et l’objectif est surtout de faire reconnaitre la responsabilité du laboratoire mais aussi de l’ANSM, qui a autorisé la mise en circulation du Levothyrox nouvelle formule. A l’instar du scandale du Mediator, les expertises médicales ou/et chimiques sont indispensables tant sur le plan civil que sur le plan pénal. 

Le volet civil  

Une des premières affaires ayant abouti à une condamnation du laboratoire Merck a été introduite devant le Tribunal d’instance de Lyon. Il s’agissait là d’une action de groupe avec 3329 plaignants. D’abord déboutés en première instance, ils ont obtenu gain de cause en appel puis en cassation (Civ. 1re, 16 mars 2022, n° 20-19.786) . Pour autant, seule la responsabilité du fabricant quant au défaut d’information du changement de formule a été retenue dans ce cas d’espèce.  

La cour de cassation a en effet considéré que « la validation par l’autorité de santé de la notice et de l’étiquetage du produit ne fait pas, à elle seule, obstacle à une responsabilité pour faute du fabricant » et que « la modification de l’excipient justifiait une mise en garde spéciale ». La Cour, constatant enfin que le changement de formule n’avait pas été indiqué sur les boîtes, a estimé que la seule mention du mannitol et de l’acide citrique dans la composition du nouveau médicament, dans un texte dense et imprimé en petits caractères, était insuffisante. 

Le préjudice corporel n’a pas été discuté dans cette procédure mais les plaignants ont tous obtenus la somme de 1000 euros en réparation du préjudice moral lié au défaut d’information. 

Outre cette action de groupe, depuis 2017, les actions individuelles pour faire reconnaitre le préjudice corporel fleurissent sur tout le territoire français.

Pour l’heure, le préjudice corporel n’a été reconnu qu’une seule fois pour une seule victime. Dans un jugement du 11 juillet 2023, le Tribunal judiciaire de Toulouse a reconnu le lien de causalité entre le Levothyrox nouvelle formule et les troubles développés par la plaignante. L’expertise médicale ordonnée par le juge a été ici déterminante puisque l’expert excluait toute autre cause pouvant justifier les symptômes éprouvés. La décision peut encore être frappée d’appel. 

Cette décision reste un cas isolé. En effet, la reconnaissance de la responsabilité du fait des produits défectueux reste difficile à obtenir en l’état actuel des connaissances scientifiques. 

Dans un arrêt du 30 mai 2023 de la Cour d’appel de Nîmes, venant sur renvoi d’une cassation, a rejeté les demandes de préjudices corporels et d’anxiété formulés par les patients estimant que le lien de causalité scientifique entre le défaut du produit et les préjudices allégués n’était pas suffisamment démontré. 

La Cour d’appel a également refusé de désigner des experts en vue d’une expertise chimique. Elle considère, en effet, qu’une « analyse chimique globale du médicament n’apparaît pas pertinente en l’espèce dans la mesure où il ressort des nombreuses pièces produites par la SASU Merck Santé et en particulier de l’ensemble des analyses et des études de pharmaco-épidémiologie réalisées par l’ANSM que la bonne qualité de la nouvelle formule n’est pas mise en cause. »

Le volet pénal

Une information judiciaire contre X est ouverte à Marseille depuis le 2 mars 2018 pour tromperie aggravée, blessures involontaires et mise en danger de la vie d’autrui, élargie en novembre à homicide involontaire après la mort d’une patiente de 48 ans. 

Le laboratoire Merck a été mis en examen en octobre 2022 pour tromperie aggravée et  blessures involontaires placé sous contrôle judiciaire. Dans le cadre de ce contrôle judiciaire, la filiale française de Merck a dû verser une caution de 4,3 millions d’euros, se décomposant comme suit : 4 millions pour garantir le paiement d’amendes et la réparation des dommages causés par l’infraction et 300 000 euros pour garantir sa représentation en justice et les actes de procédure.

Ici la compétence revient au Tribunal judiciaire de Marseille dans la mesure où la juridiction est dotée d’un pole Santé Publique et que le siège du laboratoire Merck, qui se trouve à Lyon, est dans son ressort. 

Là encore les expertises sont fondamentales. 

En 2021, un premier rapport a été rendu au juge d’instruction. Les quatre experts, des universitaires spécialistes de galénique, de pharmacocinétique et de chimie analytique, ont mis en évidence des différences importantes entre les deux formules, l’ancienne et la nouvelle. 

La vitesse de libération du principe actif dans l’organisme serait différente, le changement d’excipient pourrait accroître l’instabilité de la nouvelle formule, le dossier d’autorisation de mise sur le marché transmis par la firme aux autorités serait même « inexact » sur certains points. 

L’information est, pour l’heure, toujours en cours et les éléments qu’elle contient pourraient également être déterminants pour la reconnaissance du lien de causalité scientifique sur le plan civil.